Passages
Alexis Tourn, galerie Nörka, Lyon, 2022
Fort d’un parcours éclectique, Robinson Haas navigue avec virtuosité de la forme à la fonction, du sens à l’abstraction. Désireux de ne pas se laisser enfermer dans une pratique égotiste voire sclérosante, il matérialise son souhait de rester connecté au monde. Certaines de ses œuvres évoquent d’ailleurs des passages, comme autant de fenêtres aux formes géométriques subtilement biaisées qui permettent au spectateur de transiter d’un état d’absence, de vide vers un état de tout, de plein. Ce monde commun auquel il se sent lié, Robinson Haas l’a arpenté, l’observe, l’analyse, le conceptualise. Il est en somme l’incarnation parfaite de cette fructueuse perméabilité qui existe entre les différentes pratiques artistiques.
Robinson Haas a su développer son propre langage formel, volontairement dépouillé, rigoureux, capable d’atteindre instantanément le siège de nos émotions. Ses œuvres à la fois rythmées et ciselées génèrent une sorte d’ « environnement perceptuel » pour reprendre les termes de James Turrell. L’aspect vibrant de ces lignes bleues tracées au stylo bille à des fréquences et à des densités variables confère à ses œuvres le pouvoir de stimuler directement notre perception rétinienne. Sur grands et très grands formats l’ondulation de ces lignes innombrables se fait plus prégnante encore. Un phénomène de rémanence visuelle procure la sensation que les œuvres s’étendent bien au delà de leurs limites. Elles irradient l’espace et nous enveloppent de leur énergie intrinsèque.
Entre geste performatif et méthode expérimentale, les œuvres de Robinson Haas, à l’instar de François Morellet avec ses « trames », sont la résultante d’un principe édicté en amont : partir d’une contrainte, en l’occurrence l’usage du stylo bille et de la règle (outils industriels simples dans leur forme comme dans leur fonction), puis les détourner d’un geste a priori banal et répétitif, afin de les transcender et d’en révéler les qualités plastiques. L’oeuvre de Robinson Haas par l’usage d’outils communément utilisés, cherche à établir un pont entre technique et art estant entre geste mécanique et perception sensible.
Sublime simplicité complexe ! De sa presque inexistence, la ligne par accumulation devient surface. Tout comme Bill Viola joue de la répétition pour nous interroger sur la signification de nos actes quotidiens, Robinson Haas vient tracer, d’un geste simple de prime abord, la même ligne encore et encore donnant ainsi le jour au fruit d’un hasard contrôlé. Au travers de cette démarche presque méditative il semble vouloir ériger les fondations d’un langage vernaculaire compréhensible de tous.
Paolo Godani, contrairement à Aristote pour qui chaque être est unique, utilise le trait comme représentation d’une singularité constitutive remarquable de l’être qui l’instance. En d’autres termes, par sa théorie des traits, il présente l’individu comme une constellation de traits singuliers reliés entre eux qui ne nous sont pas propres mais nous sont communs. Peut-être est-ce là l’une des nombreuses interprétations possibles du travail de Robinson Haas, faire de nous des êtres reliés les uns aux autres par la force de nos qualités communes.
Alexis Tourn